Benjamin Biolay – Vengeance

par AS

Benjamin Biolay pochette Vengeance

«J’attendais en vain que le monde entier m’acclame / qu’il me déclare sa flamme / dans une orgie haut de gamme». Dans «Padam», l’un des titres phares de La Superbe, Biolay paraît porter un regard lucide, quasi fataliste sur les rapports ambivalents qu’il entretient avec le public. Ironie du sort, c’est au moment même où il s’est montré résigné qu’il a enfin renoué avec le succès puisqu’avec cet album, il fut porté aux nues et par le public (l’album est certifié double disque de platine, du jamais vu pour l’artiste) et par la critique, dithyrambique à souhait.

Appréhender le nouvel album de Biolay, Vengeance, n’est donc pas chose aisée car éviter la confrontation avec le monument qu’est La Superbe paraît difficile, sinon impossible. Mais notre chance c’est de considérer que même si ce dernier est un très bon album, il n’est pas supérieur à ceux qui le précèdent. On lui préfère même Trash Yéyé, d’une cohérence parfaite et d’une inventivité remarquable. L’avantage, c’est que dès lors, Vengeance peut être considéré pour lui-même et n’a pas à souffrir la comparaison avec son aîné.

Ainsi cet album nous surprend surtout par la variété de ses influences: du rock au rap à la variété en passant par l’électro, tout y est ou presque. Au détriment de la cohérence qui faisait autrefois la force des albums de Biolay? Peut-être en partie mais pas complètement: l’idée de vengeance – ou plutôt l’idée de son dépassement – est là pour faire le lien entre des morceaux très différents. « Aime mon amour », titre d’ouverture, donne le ton puisque le chanteur y fait preuve de résignation en acceptant que celle qu’il aime appartienne à quelqu’un d’autre. Quant au titre éponyme et à son équivalent espagnol Venganza, ils insistent sur la nécessité de passer à autre chose et relativisent l’idée même de vengeance : «Il n’y a ni pardon ni revanche/ L’oubli, l’oubli en revanche / Reste l’unique et seule vengeance».

Biolay est apaisé. Apaisé et libre: voilà ce qui fait paradoxalement la cohérence de l’album. En effet, l’artiste paraît avoir ôté pour de bon la bride qui le contraignait parfois à l’autocensure. Voilà pourquoi il multiplie les influences. Voilà également pourquoi de Vanessa Paradis à Orelsan, Oxmo Puccino, Carl Barât et Gesa Hansen, les collaborations s’enchaînent sur cet album. Clairement, Biolay a cherché avant tout à se faire plaisir. Pour le meilleur et pour le pire puisqu’une moitié de l’album nous semble remarquable, l’autre plus contrastée. Au rang des belles réussites, on retrouve « Profite » (en duo avec Vanessa Paradis), apologie du Carpe Diem certes cliché mais émouvante tant Biolay excelle dans le rôle de l’écorché. On retient également « Personne dans mon lit » qui combine avec succès des arrangements typiquement biolesques et un texte très premier degré, un brin mélo mais réellement émouvant. « Confettis » (en duo avec Julia Stone) a la même force: Biolay y apparaît apaisé et reconnaissant. Impossible ici d’ignorer la double énonciation : «Ça me va droit au coeur d’avoir toute votre estime». L’adresse au public émerge nécessairement au sein du discours amoureux.

Quatre titres nous marquent encore davantage et nous paraissent tout bonnement brillants: « Ne regrette rien » tout d’abord, en duo avec Orelsan, parce que les arrangements et le texte y sont remarquables («Nos pas se suivent dans la neige/ Nos coeurs se pâment / Nos corps se piègent / Ne regrette rien.») et que le contraste établi entre le constat lucide et posé du chanteur et la révolte fougueuse du rappeur est saisissant; Les trois titres électro ensuite qui nous paraissent les plus réussis car outre l’excellent « Jaloux de tout » (présent sur La Superbe), Biolay ne s’était jamais réellement engagé sur ce terrain. Ainsi, « L’insigne honneur », « Marlène déconne » (comprenez « Ma reine des connes ») et leur rythme effréné sauront à coup sûr nous transporter et nous faire danser tout l’hiver. Mais la chanson la plus marquante de l’album s’avère être « Sous le lac gelé », pour ses images saisissantes, ses multiples variations et ruptures musicales et son refrain aussi inspiré qu’inspirant: «Dans ta langue d’infirme/ Il faut que tu m’affirmes, que tu me quittes comme comme dans les films/ Dans ta langue difforme/ Il faut que tu m’informes, si tu me quittes même même sans les formes/ Noir, c’est noir, comme un goût bizarre.»

Néanmoins, tout l’album n’est pas aussi convaincant non seulement parce qu’il est difficile d’être sensible à toutes les influences qui y sont présentes mais aussi parce que certains titres nous paraissent mineurs car peu ambitieux ou peu inspirés. C’est le cas de «Le sommeil attendra» qu’on écoute avec plaisir mais qu’on oublie presque aussitôt. C’est aussi le cas des titres trop variétisants de l’album qu’un Biolay moins libre aurait probablement jadis écarté d’un revers de main : on pense à « Trésor trésor », sauvé in extremis par quelques phrases bien tournées et à « La fin de la fin » dont les arrangements, le texte et les choeurs nous paraissent venus d’une époque qu’on pensait – et espérait – pourtant révolue.

Assurément, Biolay a fait le choix de ne pas se censurer et s’il y a peut-être plus de ratés qu’à l’accoutumée, l’ensemble reste globalement de très bonne facture. Les morceaux qui se démarquent nous laissent penser que l’album peut légitimement occuper une place de choix dans l’oeuvre de l’artiste. Il s’inscrit même dans une certaine forme de continuité avec l’album précédent puisque là où La Superbe constituait, tant sur le plan de la composition qu’au niveau des retombées médiatiques, un acte de libération, Vengeance se fait manifeste de liberté. Une liberté inconditionnelle qui associée à une habileté certaine dans l’art de composer des chansons confirme l’idée qu’en passant du statut d’artiste «maudit» à celui d’artiste reconnu, Biolay n’a finalement rien perdu en route et surtout pas sa Superbe.